© Michel Cardin
Le Manuscrites de Londres


Solo Sonata 16 en Sol Majeur
(Smith-Crawford 22)

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Existant dans le seul manuscrit de Londres, sauf pour l’incipit (les deux premières mesures) de la toccate (catalogue Breitkopf de 1769) et pour l’allegro (Moscou), cette grande suite en sol se démarque des quinze précédentes par un début hors normes, soit par un prélude, toccate et fugue. Il y a huit mouvements en tout, mais les trois premiers constituent en réalité les trois temps d’une grande pièce d’ouverture. Cela donne donc une impression de six mouvements plutôt que huit et écarte toute idée de lourdeur due à un excès de mouvements. Les cinq pièces autonomes suivantes portent chacune, à la fin, les mots S. L. Weis 1719. On peut noter aussi que les suites 16 et 17 révèlent l’écriture d’un seul et même copiste  parmi les cinq qui ont assisté Weiss dans la rédaction du grand volume.

Mattheson disait de sol majeur qu’elle “possédait une forte puissance d’évocation suggestive et qu’elle était la tonalité idéale pour une oeuvre que l’on voulait empreinte de vitalité.” On ne saurait mieux décrire le climat de la suite no 16 ; la grandeur (évocation puissante) et l’allégresse (vitalité) sont en outre plus fortes que dans l’autre suite en sol du manuscrit de Londres, la quatrième.

Le Préludie commence par neuf accords qui n’ont pas de valeur rythmique inscrite, donnant à l’interprète pleine liberté d’exécution. De foisonnants arpèges nous permettront un départ brillant, annonçant le grand souffle des prochaines phrases de la fugue et même celles des autres mouvements. Ces arpèges nerveux que nous préconisons ne doivent quand même pas, à notre avis, aller au-delà d’une certaine élasticité accordée à la pulsation rythmique choisie. Ces enchaînements d’accords sont en tous cas similaires à ceux des préludes des suites 1 et 8, bien que ceux-ci portent les indications rythmiques respectives de blanches et de noires. Le court développement qui s’ensuit ressemble lui aussi en tous points à tant d’autres. Weiss ne veut vraiment qu’une brève entrée en matière comme pour vérifier, à la façon des luthistes du 17ème siècle, si le luth est bien accordé. On se rend compte par ailleurs qu’en ne jouant pas trop vite ces simples salves de doubles croches, on permet aux résonances de susciter une impression de structure harmonique plus complexe et plus riche.

 La Toccata, loin de déployer une avalanche de traits empanachés, nous transporte plutôt par la majesté solennelle, la gravité et la brillance de ses accords. Elle porte d’ailleurs dans le catalogue Breitkopf la mention Adagio. Ces deux temps de notre ouverture, le premier nerveux et le second grave et lent, mènent sans faire de façon à la pièce de résistance, la fuga. Celle-ci, magnanime et pleine de “vitalité”, se conclut néanmoins par un retour à la formule d’ouverture à la française, soit une finale lente et royale, marquée elle aussi Adagio. Elle fait bien sûr penser illico à Bach par son thème, très proche entre autres de celui d’une des fugues pour orgue du cantor, mais aussi à y voir de plus près à celle du Prélude, fugue et Allegro BWW 998. Dans celle-ci, qu’il destinait “au luth ou au clavecin”, mais qu’il a composée avec le luth et sa technique en tête, Bach semble vouloir suivre le modèle idiomatique ici présenté par Weiss : thème en valeurs longues, voix superposées en valeurs moyennes, puis développements en notes rapides arpégées. Mais Weiss en reste volontairement ici au plus simple, avec des sections d’arpèges brèves mais combien jubilantes! (Alors que Bach étire au maximum, tel qu’on le connaît, chaque section comme pour régler le sort de l’univers dans une seule œuvre). Entre les mesures 129 et 137 se trouve un bel exemple de gradation de couleurs très orchestrale : avec toutes ces basses à vide d’affilée, l’épaisseur sonore est de plus en plus grande et s’accompagne de superpositions de couleurs (chaque corde ayant la sienne). Notons aussi à la fin d’une autre marche harmonique la basse chromatique sur manche la plus extrême qui se puisse faire au luth : un contre-do dièse. Surprenants sont aussi les points de reprise à la fin de la pièce, ceux-ci ne pouvant convenir à une fugue, sauf peut-être dans l'esprit d’un “bis” possiblement réclamé !

Comme la courante de la suite n°13, celle de la suite no16 est toute en longues phrases, aux cellules d’autant plus répétitives qu’elles sont charmantes et légères. Elles permettent ainsi d’agréables modulations. La bourrée dévoile des formules mélodiques-harmoniques annonçant la paysanne de L’Infidèle (suite no 23) qui viendra bientôt. Le rebondissement élastique des croches qui s’y trouve est irrésistible et le moins qu’on puisse dire c’est que, pour Silvius Leopold, l’inspiration dans les bourrées ne manque pas ! Le nom de cette danse viendrait, à l’origine, du sautillement particulier des danseurs ivres dans les fêtes villageoises auvergnates et dont on disait qu’ils étaient “bourrés”. La petite reprise de fin est ici de nous et pour donner une idée de la fréquence de ces petits rallongements déjà indiqués par l’auteur ou ajoutés par l’interprète, précisons que sur les dix-huit pièces du présent disque, neuf ont de petites reprises, dont six sont de Weiss et trois de nous. Cela peut varier bien sûr selon les suites. On remarquera que, à part bien sûr les préludes, fugues ou toccates qui n’en ont jamais, certains mouvements sont moins enclins que d’autres à se voir ajouter ces épilogues, mais souvent ceux-ci sont plus que nécessaires à l'ampleur voulue par le discours musical. C’est sans contredit en tous cas un des éléments importants de la suite weissienne.

La sarabande, dans le ton relatif de mi mineur et avec ses trois voix serrées, porte comme sous-titre un poco andante. Elle procède effectivement plus de la marche que de la sarabande habituelle, avec sa “basse conductrice”. Fait assez spécial dans sa structure, la première section, habituellement deux fois plus courte que la deuxième, est ici pour ainsi dire carrément de la même longueur ( 20 - 21 mesures). Il est vrai cependant que la  petite reprise  allongera la deuxième section. Au surplus cette sarabande est beaucoup plus longue que les autres, en nombre de mesures du moins. Le sens rythmique et l'atmosphère même de la pièce dépendent beaucoup du choix personnel d’interprétation des ornements écrits - mais très libres d’exécution -  que sont les deux signes ) (appoggiature supérieure, simple ou multiple (trilles), lente ou rapide) et ( (idem mais inférieure). Ces signes se retrouvent dans toutes les pièces - tablatures de Weiss, mais l’allure fondamentale dépendra ici plus qu’à l’ordinaire du traitement ornemental de l’interprète, et ce même avant de faire les reprises. La fin très dramatique nécessite en outre, croyons-nous, le présent déferlement de diminutions. Les mots de Mattheson pour décrire la tonalité de  mi mineur nous paraissent excellents pour dépeindre notre sarabande : Si l’on peut difficilement ajouter de la gaieté à ce ton, parce qu’il est très pensif, profond, affligé et triste, on peut quand même y cultiver de l’espoir. Y mettre une certaine vigueur pourra bien sur nous y aider , mais sans pour autant nous faire atteindre à la lumière tant désirée”. Le menuet est fait tout de charme et montre l’importance que peut prendre la technique des liaisons (coulés de main gauche) pour l’expressivité. L’allegro, qui à son tour annonce une prochaine pièce du manuscrit, le presto du Fameux Corsaire (suite no 22), est une course folle ne permettant aucun apaisement. “Vitalité” est encore le mot clé pour cette pièce brillante qui a tout de l’écriture baroque à l’italienne.


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