© Michel Cardin
Le Manuscrites de Londres


35 Solo Pieces
Part I

The complete and updated version of 'London unveiled' by Michel Cardin can be downloaded as pdf files (currently in English only): 'London unveiled'

Même s’il n’y a pas d’indication à cet effet, les deux menuets en Fa ( Menuet p.11 (13) et Men: p.12 (14)) se complètent très bien en tant que Menuet I et Menuet II, ce qui amène naturellement le Da capo du premier. C’est sans doute pourquoi ils ont été mis ensemble. Ils sont comptés par Smith et Crawford comme étant des mouvements pouvant appartenir à part entière à la sonate n° 1 voisine, quoique comme substituts de celui que nous trouvons à l’intérieur de cette sonate. Le deuxième apparaît comme unique menuet de la même sonate qui se trouve en trois exemplaires dans le manuscrit de Varsovie. Comme Markus Lutz nous l’a fait remarquer, les quinze premières mesures du premier menuet le sont aussi pour celui, en si bémol, de la sonate en duo S-C14 en sol mineur (tous deux n’existent que dans Londres). Après ces quinze mesures communes, tout est différent. Il y a donc eu réadaptation, mais s’agissait-il au départ d’un duo ou d’un solo ? Je dirais que nous avons là le discours continu typique d’un solo mais aussi une preuve supplémentaire de polyvalence solo/ensemble finalement peut-être plus fréquente qu’on ne le croit chez Weiss. Chez les luthistes baroques, on peut ainsi constater depuis le début des polyvalences. Nous avons déjà cité pour l’air en écho de la sonate S-C16 Ennemond Gautier et ses pièces comme l’allemande dite Testament de Mézangeau qui se trouve être également - et de par la volonté affirmée de l’auteur - une gigue par simple réorganisation rythmique, ce qui nous fait facilement croire qu’une pièce pourrait tout aussi bien être refaçonnée en duo. Les trois versions de Varsovie du deuxième menuet sont pour luth à 13 chœurs, alors que celle de Londres, de la main même de l’auteur, l’est pour luth à 11 chœurs. S’il vaut la peine d’emprunter certaines basses à la version 13 chœurs, certaines cadences sont plus fignolées dans celle à 11 chœurs. Un peu avant la fin de ce deuxième menuet on trouve entre deux notes un signe qui ressemble fort à un gruppetto. Si on s’essaie à en faire un, celui-ci tombe parfaitement sous les doigts, ce qui confirme à notre avis cette intention. Observons encore dans ces deux pièces que les positionnements des doigts demandés par la tablature nous révèlent, il me semble, que Weiss avait des doigts fins et assez longs.

La Gavotte (p.13(11)) en Fa, également assimilable à la sonate n° 1, donne peut-être l’impression à première vue d’un duo mais je ne suis pas du tout sûr que cela en soit un. La répétitivité d’un motif quasi unique n’implique pas nécessairement un manque mélodique ou la nécessité d’une autre voix dans le discours et rappelle les nombreuses sonates de Scarlatti ainsi construites et auxquelles on sent qu’il ne manque rien. Cette pièce suscite un certain attachement par sa simplicité justement, un peu comme les pièces de Bach composées pour Anna Magdalena. Comme dans le deuxième menuet, les points de reprise et la lettre R sont bien clairs à la fin du morceau pour les trois dernières mesures, qui sont d’ailleurs pleines de charme. Cette gavotte contient la typique difficulté weissienne pour la main gauche. On dirait une étude de legato impliquant l’anticipation systématique du coude gauche. Cette pièce n’apparaît dans aucun autre manuscrit.

Il n’y a aucun titre pour la Gavotte et double (p.22) en ré majeur, aussi de source unique, et je pense que nous aurions pu aussi bien l’appeler angloise, vu sa ligne ascendante prédominante. Elle appartient en principe à la deuxième sonate, mais ayant été ajoutée après la gigue elle donne plutôt l’impression d’une pièce isolée ou d’un substitut à la bourrée. Son allure rustique n’est pas déplaisante et agit même - je suis sûr que c’était l’intention de l’auteur - comme antidote à nombre de pièces de ce volume tellement plus sérieuses, et je ne vois pas là, pas plus que dans la gavotte précédente, de faiblesse d’écriture ou de duo caché.

Des quatre pièces suivantes en Si bémol, deux sont des mouvements de la sonate incomplète S-C4 qui se trouve par contre entière dans le manuscrit de Dresde. Il manque à Londres le menuet et la gavotte, et le prélude de Dresde est différent de celui de Londres. On se rend compte également que la bourrée de Dresde est une variante suffisamment élaborée de celle de Londres pour la rendre indépendante, ce qui ne laisse en réalité en commun aux deux manuscrits que deux pièces : l’ouverture et la courante. Puisqu’il y a par ailleurs dans Londres quatre pièces en Do et quatre pièces en Ré vers la fin du manuscrit paraissant être aussi des sonates incomplètes, il y aurait lieu de se demander si ces deux groupes de pièces ne pourraient pas constituer elles aussi deux sonates en soi. Mais D.A.Smith a choisi d’appeler sonate les pièces en si bémol malgré les restrictions mais pas celles en Do et celles en Ré, ce qui est étonnant. J’ai choisi personnellement d’identifier dans mon analyse ces pièces S-C4 comme les pièces en Do et celles en Ré, soit comme pièces individuelles et non comme sonates. J’aurais au surplus forcé les choses en ajoutant dans mon enregistrement les deux pièces manquantes mais en omettant obligatoirement un des deux préludes. Dans un contexte pratique, et voulant rester le plus près possible des originaux, mon choix fut donc de ne pas changer la présentation de Londres (voir à ce sujet l’introduction du Ms de Londres dévoilé I, Tablature, Vol.12, no 3, 1996).

Le Prélude (p.33) (source unique) affiche une orgueilleuse magnificence et une énergie qui ne fera que croître dans les deux mouvements suivants. En effet, l’ Ouverture (p.34) brille de couleurs orchestrales à la Haendel ou à la Telemann (le thème dans les basses ayant carrément la couleur du basson) et suit le patron lent-vite-lent typique, l’Allegro développant un thème fugué enlevant. Dans la version de Dresde, la première partie et l’allegro ont tous deux des points de reprise. Comme mentionné précédemment, ceux-ci pourraient s’expliquer plus dans l'esprit d’un « bis » possiblement anticipé que comme points de reprise ordinaires.

La courante (Cour: p.36) débute comme celle du Fameux Corsaire mais la ligne mélodique est inversée. On voit dans cette pièce toute la maturité du compositeur. L’équilibre thématique n’est en rien amoindri par les longues phrases se suivant à la chaîne. Certains doigtés de main gauche sont finement indiqués dans la tablature. Notons que depuis le prélude il n’y a pas, dans Londres, de 12ème et 13ème chœurs utilisés, ce qui suppose l’utilisation originale d’un 11 chœurs. Par contre, c’est à cause de cette courante et de l’ouverture, excellent prétexte au demeurant pour changer de couleur instrumentale, que nous avons utilisé un luth standard pour notre enregistrement et non notre luth théorbé (allongé) habituel, car elles contiennent toutes deux une basse chromatique jouable uniquement sur le modèle standard, à la touche plus large. Cela aura donc été le cas pour des œuvres des Volumes 4, 5, 6 et 10 de notre intégrale de douze CDs. Mais puisqu’il n’y a que neuf pièces du Manuscrit de Londres qui nécessitent vraiment un luth standard, je les nomme ici à titre indicatif. Deux d’entre elles (elles sont marquées d’un *) pourraient même avoir leur unique basse chromatique ou leur section de phrase remontée d’une octave sans pour autant déranger le discours musical. Il s’agit de : ouverture et courante en Si bémol (S-C4), allemande* en do mineur (S-C7), allemande et gigue en Si bémol (S-C15), prélude* en ré mineur (S-C20), allemande et sarabande en fa mineur (S-C21), fugue en Sol (S-C22).

La Bouree (p.39) existe aussi dans le manuscrit de Podebrady en version plus simple. L’orthographe est Bouree pour Londres, Bourée pour Dresde et Burè pour Podebrady. La version de Dresde est intéressante, avec plus d’arpèges et des répétitions de cellules, mais j’ai préféré ne pas faire de mélange de versions dans mon enregistrement. On dirait que la cohésion se perd alors et qu’il vaut mieux choisir celle que l’on préfère en y apportant nous-mêmes au besoin quelques ornements de reprises.

L’ Allegro (p.38) en sol majeur, unique à Londres comme la courante qui lui succède, est placé dans le manuscrit entre les deux pièces en si bémol susmentionnées. C’est certainement parce qu’il a été ajouté plus tard et que cette page vide pouvait le recevoir. Nous avons donc interverti la bourrée et l’allegro dans notre présentation. On se demande si celui-ci n’est pas d’un autre compositeur, bien qu’on y retrouve tous les éléments weissiens de doigtés et d’écriture, comme par exemple des dialogues mélodiques rappelant la gavotte de la sonate S-C27. On se serait d’ailleurs attendu ici à un titre comme paysanne ou gavotte. Mais l’usage abondant des deux derniers chœurs au point de rendre la sonorité générale confuse ne « fait » pas Weiss du tout il me semble. Peut-être est-ce, comme le menuet p.136, du frère de Silvius ? Autre ambiguïté : je croyais d’abord assez fermement que cette pièce était un duo mais elle contient tellement de basses activement mélodiques qu’elle se tient tout à fait comme solo. S’agirait-il encore d’un solo refait en duo plus tard ou inversement, puis considéré à la longue comme étant l’un et l’autre ? C’est bien possible.

Les mêmes doutes concernent la Courente Royale (p.40), du même copiste tardif, mais beaucoup moins car elle donne peu de possibilités à une autre voix et, si elle n’est pas de Weiss, elle est alors d’un élève ou disciple qui a voulu utiliser toutes les formules idiomatiques de son maître. En effet, elle reprend précisément les motifs, et pas seulement les arpèges, de la courante de la sonate S-C11, de celle du Fameux Corsaire, de l’allegro de la sonate S-C22, et puis carrément un motif de l’allegro de la sonate S-C35 (Dresde).

Si j’ai sauté la bourrée en ré mineur de la page 78, c’est parce que c’est la même que celle de la sonate solo n° 9. Mais il faut dire que nous avons là un bel exemple de reprises ornées par l’auteur. Nous passons donc au Prelude (p.80) en Mi bémol, une autre œuvre en version unique, qui appartient à la sonate solo no 6 mais qui n’a pu y être incorporée puisque nous avions choisi d’enregistrer plutôt son substitut, le court prélude ajouté dans l’espace libre de sa deuxième page. La raison en est simplement que j’ai préféré enregistrer le plus imposant des deux comme pièce isolée plutôt que l’inverse. Il y a encore ici des points de reprise à la fin de la pièce et pourtant nous avons là l’exemple même d’une œuvre improvisée ! Ceci renforce donc l’idée à mon avis du bis anticipé par l’auteur pour une pièce en principe terminée. L’épanchement de tendresse du début se transforme peu à peu en exaltation énergique et même parfois furieuse. On sent un esprit vagabond et pourtant plein d’assurance. Ainsi, ce prélude est presque une représentation musicale de la rencontre de Weiss et de sa femme telle que décrite par Marpurg dans son livre d’anecdotes savoureuses sur des gens célèbres de son époque : Léopold se promène un beau dimanche et voit passer devant lui une beauté qui le transporte tant et le rend d’une éloquence telle qu’il convaincra la belle inconnue de l’accompagner au parc puis de lui présenter ses parents qui, devant son exaltation, consentiront le même jour à ce qu’il l’épouse ! L’histoire se termine - et notre prélude semble chanter cette conclusion - par « et ils vécurent une des plus belles unions que l’on ait connues ». Ce prélude nous rappelle en outre par endroits ceux des sonates solo n° 9 et 20.

Le Menuet (p.92) en Sol, encore unique à Londres et qui n’a pas de titre, semble en première lecture être la continuation de la Courante Royale avec sa même utilisation abondante d’unissons dans les thèmes et sa calligraphie du même copiste. On croirait donc d’abord que c’est une courante mais la fréquence des basses et des notes accentuées en font assurément un menuet. Il est encore difficile d’affirmer que cette pièce n’est pas de Weiss quoique le soupçon règne à cause de cette surabondance de basses qui n’est pas du tout son genre. Je ne serais pas surpris par ailleurs qu’elle ait vécu sous forme parallèle de duo.

La Fuga (p.118) en do majeur et la Fuga (p.130) en ré mineur constituent deux grands moments du Manuscrit de Londres, deux moments uniques. Chacune est de facture parfaite et a son penchant psychologique propre : la première est sereine et conquérante, la seconde d’une sombre et rageuse énergie, et c’est surtout cette dernière qui ressemble à du Bach, avec d’ailleurs un début pareil à celui d’une des fugues du Cantor. Wenzel Pichel (1741-1804) a aussi écrit une fugue pour violon solo avec ce même thème de départ. On ne trouve ces fugues dans aucun autre manuscrit, quoiqu’une variante de celle en ré mineur existe dans le manuscrit de Buenos Aires mais, sans dire que celle-ci est moins belle, elle nous paraît quand même d’une écriture moins rigoureuse. La fugue en Do, qui a aussi des points de reprise à la fin et est plus difficile techniquement à cause de ses nombreux sauts de main gauche, possède un rythme martial mais empreint d’une sorte de tendresse harmonique, alors que celle en ré mineur suinte de ses frottements d’intervalles acidulés. La première est aérienne et légère, la deuxième dense et lourde, et on trouve dans celle-ci un seul et unique doigté de main droite : l’auteur demande en effet, détail touchant, de jouer une note bien précise avec le majeur, de toute évidence pour obtenir la meilleure couleur possible. La fugue en ré mineur commence au milieu d’une page, la première moitié étant vide. On peut supposer que Weiss l’a fait exprès pour pouvoir un jour y ajouter un prélude qu’il n’avait pas le temps cette fois d’improviser et de noter. Mais cette demi-page est restée vide pour la postérité…

L’Amant Malheureux (p.132), présent aussi dans le manuscrit de Paris, composition célèbre qui inspira d’autres compositeurs germaniques (par ex. Pachelbel et L’Amant malcontent) n’est pas de Weiss mais de Jacques Gallot (dates inconnues, mort à l’époque de la naissance de Weiss) dit Le Vieux Gallot (manuscrit Vaudry de Saizenay) dont l’influence est importante. Par exemple La Psyché de Gallot, autre pièce magnifique, fait penser à la chaconne en sol mineur de Weiss ainsi qu’à certaines de ses allemandes. Ce qui est formidable ici c’est d’avoir la version de Weiss de sa propre main avec ses variantes et les reprises ornées au complet, ce qui nous interdit pour une fois de les faire. Et cela se comprend : on ne voudrait changer aucune note, aucune inflexion à ce chant sacré, éthéré, que sais-je, mystique enfin. Il est vrai cependant que nous pouvons utiliser à notre guise les notes inégales pour augmenter le pathos. La poésie de Gallot à peine modifiée et pourtant amplifiée avec tant de respect et d’intelligence par Weiss près de 100 ans plus tard : quelle magnifique association artistique à travers le temps ! L’imagerie sonore parle : les larmes au début qui tombent une à une, le désespoir qui envahit l’âme et s’amplifie ensuite, puis les sanglots à la fin. Les intervalles ont leur force symbolique propre et les intervalles clés sont la quinte, la tierce, l’octave. Cette pièce est un chef d’œuvre de son temps et l’égal des œuvres-cultes bien connues. La version de Paris, en sol mineur, est correcte et soignée (serait-elle de Silvius et antérieure ?), mais celle de Londres, en la mineur, avec les reprises écrites, a quelque chose de génial et d’ineffable.

La Fantasie (p.134) en do mineur, en version unique et portant à la fin l’inscription Weis 1719 à Prague, a été publiée en mi mineur pour guitare dans les années 1960 et l’enregistrement à la même époque de Julian Bream, au legato si parfait, de cette pièce ainsi que du Tombeau de Logy et de la Passacaille en Ré ont poussé bien des débutants d’alors à vouloir connaître davantage le compositeur Weiss. Il est vrai que Segovia avait joué déjà en concert quelques pièces de Weiss auparavant à la guitare et il ne faut pas oublier son influence, quoiqu’il ait sans vergogne fait composer parallèlement des pastiches par son ami le compositeur mexicain Manuel Ponce et les ait présentés comme étant de Weiss, pour ne pas avoir l’ennui d’adapter les autres œuvres originales qu’il devait trouver par trop idiomatiques, ce avec beaucoup d’agacement puisqu’il détestait le luth en lui-même. Je me souviens de m’être demandé à chaque mesure, quand je la jouais à la guitare, comment pouvait bien sonner cette fantaisie au luth. La première moitié, non mesurée, est un flot continu de phrases brillantes et ondoyantes et la deuxième, mesurée, consiste en un thème fugué prenant vite de l’expansion puis revenant tout à coup au libre discours mélodique du début jusqu’au paroxysme des accords de la fin.

Le Menuet (p.136) en Si bémol n’a pas de titre mais son style est très clair. Il se trouve aussi dans le Ms de Varsovie avec l’inscription Junior Weiss, ce qui fait supposer qu’il serait du frère de Silvius, Johann Sigismund. Il est léger et apporte une bouffée de fraîcheur, sonnant effectivement très « fin dix-huitième », et nous fait douter en première lecture qu’il est de Silvius. On dirait Haydn ou Mozart, et la technique est facile. Pourtant, il s’apparente aussi aux petits menuets de Bach, bien contemporains, et l’équilibre d’écriture fait tout à fait « senior Weiss ». La Plainte (p.137) n’a pas non plus de titre à son en-tête mais voici ce que l’on peut lire à la fin de la pièce : « Plainte de Monsieur Weis sur la générosité de la grande Noblesse au cap de bonne espérance, en attendant la flottille d’or de leur promesse : composé le 11 janvier 1719 ». Nous retrouvons ces sentiments dans la musique qui allie le désabusement à une méditation sereine, philosophique et sans rancœur. Weiss était à Vienne avec la cour de Saxe en visite pour la préparation du mariage des héritiers qui eut lieu le 20 mars. On se demande à laquelle des deux cours il en voulait de ne pas avoir touché les cachets escomptés. Mais il est vrai que celle de Vienne tenta un jour de l’engager en lui offrant un salaire incroyable. La plainte côtoie ici la sonate solo no 10 en si bémol dont elle pourrait remplacer la sarabande et se fait appeler justement sarabande dans la même sonate copiée dans le manuscrit de Dresde, qui semble avoir perdu ou laissé tomber celle de Londres. Sa particularité consiste en de longues appoggiatures aux débuts de sections qui créent une harmonie spéciale car ces appoggiatures demeurent harmoniquement plus fortes que leurs résolutions. Il fallait y penser…

Le Tombeau (p.176) sur la Mort de M: Cajetan Baron d’Hartig arrivee le 25 de mars 1719. Composée par Silvio Lepold Weis à Dresden est, comme le deuxième tombeau qui suivra, un autre moment fort du manuscrit. Il est sous-titré Adagio assai et sa tonalité de mi bémol mineur, aux nombreux chœurs graves abaissés (l’accord du luth est inscrit par Weiss lui-même à la fin de l’œuvre) est fabuleuse et tout à fait à propos, bien qu’elle fut considérée à l’époque comme bizarre, ou du moins inusitée. Pas étonnant que Mattheson n’en donne pas de description d’affekts et l’exclue de sa liste des tonalités. Il dit en fait des quelques tonalités qu’il ne décrit pas que « leurs effets sont peu connus et doivent être laissés à la postérité car ils sont très rarement utilisés ». Mais Weiss aimait bien devancer la postérité et il ne s’est pas gêné pour utiliser une technique terriblement difficile de barrés à la main gauche ! J’ai de surcroît volontairement mis le diapason quelques comas plus bas pour noircir davantage le climat, ce qui surprend l’oreille lorsqu’on vient d’écouter la Plainte juste avant. Cette œuvre, qui n’a pas d’autre source connue, rend hommage à Cajetan Christoph Anton Freyherr von Hartig (1686-1719), le benjamin de cinq frères, dont la mort subite est décrite dans un journal viennois : « Seigneur à Rückers, il décéda célibataire à Prague chez lui près des marches du château le 23 mars, à 5h00 du matin, de l’an 1719, d’une chute de cheval arrivée la veille quand il revenait du zoo impérial de Bubenetz. Il tomba durement sur les marches du château où son cheval affolé galopait. Il agonisa pendant plusieurs heures sans pouvoir parler jusqu’à sa mort. Il était âgé de 33 ans. On l’enterra le même soir à St-Thomas dans le cloître Sainte Barbara. » .

Plus encore que pour l’Amant malheureux, et autant que Bach a pu le faire dans ses oeuvres, Weiss nous expose ici un scénario musical symbolique détaillé. Ce que j’y vois, personnellement, c’est ceci : les premiers accords sont les trompettes qui annoncent le grave événement ; ceux qui suivent, traînants et lourds, suggèrent la maladie ; puis voilà des marches harmoniques qui semblent raconter la vie écoulée du personnage ; la montée subséquente de tierces propose le caractère édifiant qu’il a su garder au cours de sa vie ; le passage serein qui termine la première partie rappelle la mortalité des êtres et notre soumission consciente à la volonté du destin ; le début de la deuxième section représente le souffle haletant du mourant; la longue pédale avec accords suspendus indique la marche du temps qui confirme les destinées ; l’orage qui suit montre la révolte face à la mort et le combat ultime jusqu’à l’épuisement (accord en ff ) ; la descente mélodique suivante représente la résignation ; puis de lourds accords saccadés signalent l’accomplissement du trépas et le drame de la perte d’un être aimé tout en donnant l’impression d’émettre les dernières pulsations du cœur ; les accords suspendus de l’avant-dernière mesure signifient que là où s’arrête le rythme s’arrête la vie, et le fait qu’ils soient diminués montre la désagrégation du corps qui retourne en cendres ; finalement, la ligne ascendante de la toute fin c’est l’âme qui monte au ciel.

La volubile Bourrée (p.178) en do majeur, qui nécessite une grande versatilité technique, n’a pas non plus de titre et ne se trouve pas ailleurs que dans la source londonienne, mais le Menuet (p.180) dans le même ton qui suit existe comme Trio d’un autre menuet dans le manuscrit de Varsovie. C’est une pièce harmoniquement mince, volontairement simplifiée comme si Weiss l’avait écrite pour son fils ou un débutant. On pourrait croire par ailleurs que cette structure suggère fortement un duo ou une pièce d’ensemble. Mais cela n’exclut pas un certain charme en solo. On trouve une fois de plus, peu après le début, le thème reconnaissable de Gloria In Excelcis Deo ! Il y a dans cette pièce un renvoi de bas de page qui propose une reprise ornée de la première section.


< Sonata N° 26      Pieces II >


 


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